Sélection poches hiver littéraire 2022 : nos 3 très gros coups de ❤️ !
Pour ce début d'année nous vous proposons une sélection de trois grands livres qui se glissent facilement dans votre poche et qui accompagneront avec énormément de brio vos longues soirées d'hiver
1. Jón Kalman Stefánsson Lumière d’été, puis vient la nuit - Folio, 13 janvier
Dans tous les romans de Jón Kalman Stefánsson on a la joie d'y retrouver une poésie, un regard sur le monde qu'on ne voit nulle par ailleurs
Lumière d'été puis vient la nuit n'a pas cette construction qui vous donne le tournis, vous étourdit, il n'a pas la puissance romanesque d'Asta (qui pour nous reste son plus beau roman car sa plus belle histoire d'amour) mais quel plaisir de lire chaque page, chaque ligne, chaque mot de Jón Kalman Stefánsson si on est sensible à sa musicalité.
L'histoire (ou plutôt les histoires car ici l'auteur nous raconte plusieurs histoires) se e dans un petit village d'Islande de 400 âmes, un village comme les autres, sauf qu'il n'y a ni église ni cimetière.
Dans ce village, la proportion d'octogénaires est la plus élevée d'Islande mais personne n'a jamais découvert le secret de cette longévité. le village est en pleine campagne, près d'un fjord. Comme dans les autres romans de Jón Kalman Stefánsson, l'environnement parait à la fois hostile et sauvage et les nuits particulièrement noires et belles (l'écrivain sait si bien les décrire).
Jón Kalman Stefánsson nous plonge dans ce village en nous parlant de l'Astronome, un homme qui dirige l'Atelier de Tricot et qui se met soudain à rêver en latin, de la factrice qui lit toutes les lettres qui transitent par elle, du maire et de sa femme, d'Elisabeth, d'Eyglo et de Jakob et de bien d'autres habitants.
Il ne leur arrive rien d'extraordinaire mais Jón Kalman Stefánsson a le don de nous embarquer avec lui dans son récit en utilisant le « nous » (un peu déroutant au début) et en ayant une manière de raconter les histoires qui me donnent souvent l'impression d'être comme une enfant qui attend qu'on ouvre l'album de contes et de légendes (et même s'il s'agit bien d'histoire d'adultes) le soir venu.
Comme dans ses autres romans, Jón Kalman Stefánsson touche à l'universel en nous questionnant, à travers ses récits, sur le sens de la vie, la solitude, la mort, le désir, l'amour, la douleur, le bonheur.
Il est des blessures si profondes et si proches du coeur, que même la pluie sur les vitres de la cuisine devient parfois mortelle.
Il y a des choses en ce moment qu'il faut se garder d'enfermer dans les mots pour ne pas risquer de les abîmer.
J'aime ses histoires de fantômes alors que ce n'est pas un genre qui m'attire, j'aime ses traits d'humour, sa poésie, sa mélancolie. J'aime la façon dont il parle d'amour et de sexe. Sous sa plume, les femmes sont souvent ensorcelantes, les timidités sont légions, certains se frôleront toute leur vie sans jamais oser faire le premier pas et j'aime cette idée.
Chez lui, il y a le goût des lettres manuscrites qu'on s'envoie (avec le facteur, la poste, elles ont souvent une grande place dans ses écrits) et je ne peux être qu'aussi nostalgique que lui à l'idée qu'aujourd'hui tous les messages sont instantanés et appelés à disparaitre avec nos ordinateurs. Ainsi nous ne laisserons aucune trace.
Lumière d'été puis vient la nuit est un roman qui se déguste. Pour moi, ce serait quasi un contre sens de le lire avidement, le plus vite possible comme certains pages turner car entre les lignes, Jón Kalman Stefánsson, nous incite à ralentir et à résister face à ce monde où il faut toujours aller plus vite, avoir tout tout de suite, produire et consommer plus. Et c'était toujours formidablement traduit par le très fidèle Eric Bourry.
On a attendu longtemps avant de se décider à lire ce roman car l'idée de ne plus avoir de livre de Jón Kalman Stefánsson sous le coude nous attristait beaucoup.
Heureusement son nouveau roman "Ton absence n'est que ténèbres" sort en grand format en cette rentrée de janvier chez Grasset
Direction Londres dans les années 1880 avec le dernier roman de Joseph O'Connor, le bal des ombres. Bram Stoker (auteur du livre Dracula qui a un succès énorme seulement après sa mort) est gratte papier au château de Dublin et écrit, en dehors de ses heures de travail, des critiques de théâtre pour la presse.
Fervent irateur de l'acteur Henri Irving (qui a aussi existé), il écrit un jour un papier élogieux à son sujet et est alors convoqué par ce dernier. Il est alors embauché comme istrateur du théâtre Lyceum (en ruines) et part pour Londres. le bal des ombres suit le destin et les rapports complexes de cet écrivain, de cet acteur et d'Ellen Terry, actrice londonienne.
Il dresse aussi le tableau de Londres à cette époque.Pourquoi j'ai aimé le bal des ombres ?
Non seulement Joseph O'Connor s'affranchit d'un découpage chronologique classique mais il mêle lettres, enregistrement de radio, récit, ant d'un registre à l'autre sans accroc et sansjamais nous perdre, nous lecteurs épatés par tant de virtuosité .
L'auteur mêle aussi les tonalités : mystérieuse, ténébreuse, sombre quand Londres vit dans la peur depuis qu'un homme assassine des jeunes femmes dans un quartier pauvre de la ville. Au théâtre, un fantôme erre dans les couloirs et on ne s'aventure pas certaines parties du dédale.
Tragique parfois face aux coups durs vécus par les protagonistes, drôle aussi, en particulier dans les dialogues particulièrement incisifs et savoureux.
Et puis les personnages sont à la fois hauts en couleur et complexes, à la fois diamétralement différents et incroyablement proches dans ce désir de reconnaissance, dans cette manière de se nourrir de ce qui les entoure pour créer. Un très beau roman !
3/Encabanée, Gabrielle Filteau-Chiba ; 6 janvier ( Folio)
Gabrielle Filteau-Chiba réussit un premier roman écolo-féministe écrit avec pas mal de poésie et humour.
Une belle réussite qu'on vous conseille de suite :
✒️"L'aurore et ses pastels fixent le temps. Nulle âme à qui adresser la parole, j'écris à une amie imaginaire. Le manque de sommeil me fait frôler la folie parfois, mais le soleil se lève chaque matin sur un tableau plus blanc que jamais, avec ses flocons qui tourbillonnent comme dans une boule de cristal. Malgré la rigueur de ma vie ici, le verre d'eau sur la table me paraît encore à moitié plein...même s'il est plein de glace."
🍁Ma cabane au Canada : impossible de ne pas avoir cette chanson de Line Renaud, écrite par Loulou Gasté en tête, en lisant le titre sur la couverture, en voyant la photo et en apprenant que cela se e vraiment au Québec.
🍁Quitter la grande ville, son bruit et son agitation mais aussi sa logique consumériste et s'installer dans une cabane (pas particulièrement protégée du froid, la frileuse que je suis n'a pas pu louper ce détail) en plein hiver, en pleine forêt pour ...écrire, lire des poèmes , boire un thé chaud, faire provision de bois, s'interroger sur le chemin à prendre pour donner sens à sa vie, goûter à toutes les beautés de la nature.
🍁A lire : pour la beauté de la langue (il y a un petit glossaire à la fin), parce qu'il est assez court pour être lu et relu quand on a besoin d'appuyer sur pause, de se recentrer sur nos sens et nos sensations et parce que même par -40°C l'écrivaine fait preuve d'auto-dérision.
🍁🍁Vous l'aimerez encore plus : si vous aimez dresser des listes, si vous vous sentez vite étouffé-e dans une vie boulot/métro/dodo ..