Littérature américaine : Ces Montagnes à jamais /Poétique et sombre
"Jamais dans toute cette nature. Même avec vos quads et vos radios et tous vos trucs. Même pas. Ce que je veux dire. C’est que vous me retrouverez jamais. Jamais dans toute cette nature. Je peux courir et me cacher et courir encore et même si c’est rien qu’un instant à six cents mètres et que vous devez me coller une balle dans le dos ces montagnes sont à moi bande d’enculés bande d’enculés et de lâches je vous le dis une bonne putain de fois pour toutes que les Bull Mountains sont à moi."
S'il y avait une musique de fond à la lecture de "Ces montagnes à jamais", premier roman de Joe Wilkins on imaginerait volontiers celle d'un western sans doute par le maitre du genre Ennio Morricone .
- Parce que même si les paysages de ce coin reculé du Montana sont grandioses, le mot poussière revient très souvent.
- Parce qu'ici tout le monde se balade avec son fusil et que les règlements de compte finissent dans le sang.
- Parce que Wendell vit dans un mobil home, travaille dans un ranch et porte des chemises de cow-boy quand il va boire des bières le soir.
- Parce que la tension va crescendo au fur et à mesure qu'on avance dans sa lecture.
Mais Les "Montagnes à jamais" sont bien plus que ces quelques images.
"Ils mangèrent en silence. Le raclement des cuillères, le craquement léger des crackers. Après avoir terminé, le garçon resta là, les yeux rivés sur son bol. Wendell ouvrit une autre conserve et en versa la moitié dans le bol du gamin, le balança au micro-ondes avant de le poser devant lui. Le garçon mangea celui-là aussi, ainsi qu’une pleine assiette de crackers beurrés. Il se laissa ensuite aller contre le dossier de sa chaise, les yeux moins écarquillés, ses épaules et sa mâchoire semblèrent se décontracter."
Ce premier roman de Joe Wilkins (qui a vécu dans les Bill Mountains et qui en parle superbement bien), traduit magistralement par Laura Derajinski, est le portrait d'une communauté rurale isolée et dont les membres se débattent, chacun à leur manière, pour survivre.
C'est aussi et surtout le portrait magnifique de Wendell, jeune homme de 24 ans, qui retrouve une raison d'espérer en accueillant Rowdy, gamin mutique et traumatisé.
La façon dont cet enfant le bouscule dans son quotidien, l'ouvre vers d'autres possibles, lui donne envie de transmettre ce qui lui n'a pas connu est traduite par des instants croqués avec une grande justesse et sensibilité.
Ce roman, salué comme il se doit par la critique américaine et sélectionné dans plusieurs prix littéraires est à lire toute affaire cessantes, notamment si vous aimez les romans classés "nature writing" où les personnages ont autant d'épaisseur que la nature.