Rencontre avec Pierre Lemaitre pour son nouveau roman " Miroirs de nos peines"
Auteur de romans noirs et romans policiers ("Robe de marié", "Alex", "Sacrifices, "Trois jours et une vie"), Pierre Lemaitre est unanimement reconnu comme un des meilleurs écrivains du genre, et récompensé par de très nombreux prix littéraires nationaux et internationaux.
Après l’extraordinaire "Au revoir là-haut" , qui lui valut le Prix Goncourt en 2013, et "Couleurs de l’incendie", publié en 2018. il clôt en ce début 2020 sa trilogie consacrée à l'entre-deux-guerres, avec "Miroir de nos peines," qui nous transporte en pleine débâcle, à la veille de l'occupation allemande.
Un récit palpitant sur fond de drôle de guerre, d’exode et de faux-semblants.
On avait chroniqué le livre à sa sortie, et on a pu rencontrer l'auteur à l'occasion de sa venue sur Lyon le 7 février dernier ( avant l'épidémie du Coronavirus, forcément) .
Extraits de nos échanges avec un romancier aussi prolixe que brillant :
© Samuel Kirszenbaum
" Ma méthode d'écriture?:
"Disons que j'essaie un peu d'écrire comme si je racontais l'histoire à voix haute , j'ai tendance à dire que je suis plutôt un conteur qu'un romancier de l'écrit, .c'est pour cela que le rythme parlé fait partie intrégrale de mon projet. et que j'aime beaucoup assurer la partie narration dans les livres audios. Pour "Miroir de nos peines", j'ai eu la chance de faire l'enregistrement de la narration du livre alors que celui ci n'était pas encore édité, cela m'a permis de revenir sur certains ages, qui à l'oral sonnaient pas vraiment juste à mes oreilles."
"Miroir de nos peines / la quête de Louise "
"J'aimais l'idée, dans ce dernier volet , que Louise tente de dénouer un secret familial et de construire quelque chose au moment même ou tout se défait et part un peu en vrille. La famille est le tombeau de toutes nos névroses, il est essentiel de tenter d'en dénouer les fils. Alors que dans mon roman avec le début de cette seconde guerre, toute la nation tombe dans une panique général, la quête de Louise essaie de mettre un peu de rationnel dedans."
© Samuel Kirszenbaum
La différence entre écrire des polars et de la littérature blanche
"J'ai adoré la liberté que j'ai pu trouver avec "Au revoir là haut", c'est une liberté que je n'avais pas forcément avec le polar où j'avais beaucoup plus de contraintes . J'ai pris un plaisir de fou à écrire ce roman feuilleton un plaisir que j'ai retrouvé quasiment en totalité avec le second volet Couleurs de l'incendie et ce troisième "Miroir de nos peines", tisser tous les liens entre les personnages, me demander à quel moment ils vont se croiser c'est une vraie jubilation dans l'écriture, sincèrement . "
Un roman à la façon 19è siècle mais écrit au 21e!
"Quand on écrit pour ses contemporains, il faut se plier aux usages culturels qui sont les leurs. Le lecteur d' aujourd'hui est assurément plus pressé, plus impatient que celui du 19e siecle, je pense que les séries télé nous ont habitué à avoir des accroches très nerveuses, comme un livre n'échappe pas au siècle dans lequel il est produit j'essaie de m'adapter à cette contrainte qui n'en est pas vraiment une car jaime bien cela, j'avoue. Je suis une sorte d'écrivain post moderne, toutes les histoires ont déjà été racontées, il faut simplement réussir à faire du neuf avec du vieux et enrober cela de façon assez moderne pour que le lecteur ne s'en rende pas trop compte ( sourires) ."
Le fils spirituel d'Alexandre Dumas ?
"J'ai toujours eu Alexandre Dumas comme modèle d'écriture et c'est vrai que ma trilogie essaie à son modeste niveau d'aller dans ce sens. Dumas a toujours eu le génie de la simplification, comme l'avait aussi Victor Hugo. Dumas savait mieux que quiconque croquer des personnages qui sont au service de l'histoire, sans jamais aller dans le trop, dans le superflu , tout est là pour servir la mécanique de la narration, cela parait très simple mais c'est extrêmement compliqué à mettre en oeuvre. "
Parler d'hier pour mieux parler d'aujourd'hui ?
"Evidemment qu'il y a un miroir évident entre l'exode de la guerre de 40 que je raconte dans mon livre et les migrants d'aujourd'hui, ou tous ces réfugiés climatiques qu'on risque de voir venir dans le monde de demain. C'est bien cela qui m'interesse aussi dans l'écriture de romans historiques, de trouver ces erelles entre notre société actuelle et la grande histoire ."
Un grand regret ?
"J'aurais bien aimé faire partie des membres du Goncourt, il en était question à un moment car l'académie voulait un auteur qui était chez Albin Michel et finalement c'est Eric Emmanuel Schmitt qui a été pris. Je pense que j'aurais pu essayer d'influencer les autres membres pour que des auteurs de polars soient au moins parmi les finalistes, par exemple quelqu'un comme Hervé Le Corre n'y figure jamais alors qu'il écrit des romans formidables. Je suis persuadé qu'il aurait tout à fait sa place mais comme on a toujours ses a prioris contre la littérature noire- même si cette distinction ne veut plus rien dire à mon sens - il n'y figure jamais. dans aucune des listes, et c'est vrai que ca m'énerve un peu. Car, pour avoir eu la chance d'avoir eu le prix Goncourt, je sais ce que cela change dans la vie d'un écrivain en terme de consécration. Quand on est devenu un prix Goncourt, on est dans une autre sphère, tout ce que tu dis même le plus anodin sonne un peu comme parole d'évangile ( sourires) "
Propos recueillis le 7 février à Lyon