Rencontre cinéma / Vanessa Filho réalisatrice du film "Gueule d’ange" !
La réalisatrice Vanessa Filho signe « Gueule d’ange », un premier long-métrage avec Marion Cotillard, présenté lors de la sélection de "Un certain regard à Cannes" et à l'affiche dans les salles de cinéma depuis près d'un mois déja, soit le 23 mai.
Gueule d'ange est un premier film fort réussi ( voir notre chronique du film) et on a eu envie de vous le redire avant qu'il ne disparaisse totalement des écrans.
Nous avons rencontré sa réalisatrice au cinéma Comoedia, deux jours après la sortie du film pour un très beau moment d'échange, qui nous a permis de mieux connaitre cette artiste particulièrement multicasquette.
Une jeune femme même pas quadra qui a réalisé des clips, fait partie d'un groupe de musique ou encore a été photographe pendant longtemps .
C'est quoi exactement le premier choc de cinéma de Mademoiselle Filho"
Et pourtant, ce sont d'autres projets professionnels assez loin du 7ème art, qui vont la happer, Vanessa développe des séries photo personnelles, et se lance dans la musique au sein du duo féminin Smoking Smoking, "Après cette première réalisation, j’ai beaucoup œuvré dans le milieu de la musique : j’ai réalisé des clips, des documentaires, des captations live, et j’étais membre du duo musical Smoking Smoking. En parallèle, je suis photographe, j’ai travaillé avec de nombreux artistes, et j’ai développé à titre personnel cet art depuis vingt ans maintenant. Mais au-delà de ces créations et des différentes approches artistiques, le désir de faire du cinéma ne m’aj amais quittée. Le temps m’a semblé long »
Oui, mais sans c'était avant l'année 2016 à marquer d'une pierre blanche ... "Il y a deux ans, les projets notamment musicaux s'enchainaient, mais j’étais dans un age à vide, je m’éloignais de mon désir premier, le cinéma. Un jour, en vacances en Bretagne, j’ai eu une vision : une fille, sa mère, une bourrasque d’images et de sentiments. J’ai écourté mon séjour, suis rentrée à Paris, me suis enfermée des semaines pour écrire une ébauche de scénario. Et devant la nécessité de porter jusqu’au bout ce début de projet, ce besoin de réaliser a tout emporté, car j’ai mis tout le reste de mes projets en stand-by. Celui ci m’était si vital qu’il fallait que je tienne bon malgré les obstacles et les difficultés dont la force m’a parfois ébranlée."
Cette urgence qu'on ressent dans le film, Vanessa Guilho insiste terriblement dessus au cours de notre entretien : "Oui, quand ces personnages et leur histoire me sont soudainement apparus au cours de cette vision, une évidence s’est imposée à moi. J’ai éprouvé un sentiment d’urgence. J’ai tout laissé tomber, bouleversé ma vie, et me suis enfermée avec ces personnages pendant des semaines pour écrire un premier traitement. Cela doit être lié à mes autres casquettes, la photo, le clip, mais c'est évident que jai une écriture visuelle, je vois mes personnages avant de les entendre. Je devais raconter cette histoire qui me bouleversait et qui résonnait chez moi, de manière très personnelle, avec des émotions profondes – même s’il s’agissait avant tout d’une fiction. "
""Bleu avec Juliette Binoche, mais aussi OPENING NIGHT… de John Cassavetes, LA FEMME D’À CÔTÉ de François Truffaut, FAMILY LIFE, LADYBIRD de Ken Loach, DÉSIR MEURTRIER de Shohei Imamura, CLÉO DE 5 À 7 d’Agnès Varda : les références que citent Vanessa mettent en avant des films où les femmes sont fortes et libres, pas étonnant alors que Marlène femme enfant totalement déroutante et cyclothymique soit au centre de ce si vibrant "Gueule d’ange," ah oui, c'est vrai que je n'y ai pas forcément pensé de manière consciente les premières fois que j'ai donné toutes ces références comme film de chevets, mais j'ai toujours été attiré par les personnages de femmes indépendantes et qui ne sont pas soumises à un homme ou une situation...et du coup, ce n'est sûrement pas étonnant que c'est une femme et sa fille que j'ai eu en vision devant moi et que j'ai eu envie de développer un portrait de femme, c'est certain.."
Alors, cette tranche de la vie d’Elli 8 ans, élevée par sa mère Marlène (Marion Cotillard), une femme-enfant qui, un beau jour, s’évapore, entre manque d’amour et excès d’alcool, de quoi parle t-elle d'abord dans l'esprit de sa créatrice " ah, je dirais que c’est un film qui parle d’amour, et de tous les sentiments qui le font absent, l’affectent, et qui rendent mon héroïne dépendante. Mais c’est aussi un film sur la renaissance. Parce que malgré l’épreuve qu’Elli traverse, qui la met en insécurité, elle fait preuve de résistance, elle témoigne d’une capacité, d’un effort de résilience.
Ce qui me touche le plus chez Elli, c’est sa faculté à faire cohabiter avec sa douleur un désir immense de vie. Et ce qui me bouleverse chez Marlène, c’est son impuissance, sa fragilité, son manque de repères, et d’espoir. C’est un être humain envahi par sa souf, chao- tique, qui ne trouve pas sa place dans ce monde et qui ne s’aime pas assez pour être capable d’accueillir le bonheur et d’aimer au mieux sa fille. Il y avait donc la nécessité de rendre ces émotions sensibles."
Au générique du film on voit le nom de Diastème et comme on aime bien le type forcément on lui en parle : " Moi aussi, j'aime bien Diastème en fait, (sourires) : je le connaissais un peu, et il a été intéressé et touché. par ce premier jet de l'histoire que je lui ai rapidement fait lire. Nous avons alors décidé de développer le scénario ensemble, de le co adapter et codialoguer. Diastème a une façon très juste d’appréhender les personnages, et nous avons pu aller encore plus loin, tout autant dans leur caractérisation que dans la force dramatique. Ensuite, comme l’écriture a duré plusieurs années, j’ai eu la chance de collaborer avec François Pirot qui est venu en consultant sur la dernière partie du film. Nos échanges pluriels ont contribué à rendre les émotions encore plus palpables, notamment la dépression de Marlène, sans pour autant jamais la commenter.
Et comment ca marche, exactement d'écrire un scénario de film quand on l'a jamais fait? " L’écriture scénaristique impose un temps assez long et exige un dialogue constant pour garder les personnages vivants. Un scénario est comme un corps qu’il faut constamment animer, et je suis heureuse de ces collaborations. Car ce qui m'a semblé vraiment important tout au long de l'écriture, c'est qu'on n'a jamais cherché à imposer une explication, à sous-titrer, à devancer, à commenter ou à démontrer. Je me suis surtout attachée au ressenti avant tout, et je pense que cela se voit en regardant le film".
Quant à la rencontre avec la star Marion Cotillard , Vanessa reconnait que c'est un rêve total auquel elle n'osait même pas y songer : " incèrement, je n’aurais jamais osé espérer que Marion lise même le projet. C’est grâce à Laurent Grégoire, mon agent et le sien avant tout, qui le lui a transmis. Et j’ai eu la chance qu’elle ait souhaité me rencontrer suite à cette lecture. Ma première rencontre avec elle m’a bouleversée. Le temps s’est suspendu. Elle m’a parlé de Marlène avec tant d’amour et de compréhension à l’égard du personnage, avec une empathie si profonde, que j’en ai été saisie : il y a chez elle une intelligence émotionnelle, une humanité, une puissance et un instinct très rares. "
Mais, franchement , pas trop intimidée, Vanessa, à cette idée de faire tourner une comédienne qui a joué avec les plus grands, de James Gray aux frères Dardenne, quand on est une toute jeune cinéaste? : "Si bien sur, je ne dis pas que je n'ai pas pensé aux fantômes des très grands metteurs en scène qui avaient dirigés Marion au moins la première fois que j'ai dit "coupez", mais ce qui est formidable, c’est qu’on a trouvé assez vite le juste dialogue fondé sur les émotions, sur les résonances, sur le corps, pour aborder au mieux le personnage de Marlène.
Et surtout, franchement Marion ne pose aucune limite c'en est absolument ébouriffant : à partir du moment où elle s’engage, et elle s’est engagée dans ce projet de tout son cœur, elle installe un rapport de confiance et on peut aborder les émotions de manière directe et entière. Quand elle arrive sur un plateau, l’espace en est comme transformé, elle impose une concentration et une tension charnelles que tout le monde ressent. Marion, je lui suis et lui serais toute ma vie profondement reconnaissante parce qu’elle m’a invitée à la diriger très simplement, très naturellement, sans effet, ni posture."
GUEULE D'ANGE Bande Annonce (2018)