Baz'art  : Des films, des livres...
22 août 2017

Interview de Tony Gatlif : "chez moi, tout part toujours de la musique et de l’exil"

 Je l'avais annoncé la semaine dernière lors de ma chronique de son dernier film Djam, actuellement en salles   : j'avais eu la chance de  rencontrer, avec deux autres médias lyonnais l'immense cinéaste Tony Gatlif en personne.

L'occasion d'échanger avec lui pendant plus d'une heure autour de son film et de sa carrière pour une longue interview dont  je vous dévoile désormais les grandes lignes ce jour sur baz'art.

Un moment unique qui restera forcément gravé en nous pendant longtemps,  tant l'homme est aussi généreux en interview que dans son cinéma : 
 itw galif

 Baz'art : Qu’est qui est à l’origine de votre dernier film ? Est-ce la musique qui est le vrai premier point de départ de "Djam" ou bien est ce une farouche volonté de parler des migrants et de l’exil ?

Tony Gatlif : C’est vraiment la musique qui est le point de départ de "Djam", mais comme la musique que j’aime ret toujours les thématiques sociales, tout est étroitement lié.

Vous savez , je vais vous dire une chose : chez moi, tout part toujours de la musique et de l’exil en même temps ( rires)...

Baz'art : Et en quoi cette musique rebetiko, mise à l’honneur dans Djam, vous parle tant?

 Tony Gatlif : La musique Rebetiko, je l’ai découverte il y a longtemps, c’était en  1983 au cours d’un voyage en Turquie où j’étais venu présenter mon film Les Princes.

Il faut savoir que cette musique, elle s’développée dans les bas- fonds d’Athènes, lorsque les Grecs  sont partis de Turquie, chassés par Atatürk.

On ressent bien dans cette musique tout ce qu’il y a derrière, ce mélange de mal être,  de déchirements que l’exil a provoqué  et même temps cette immense fierté en même temps, et j’avais envie d’écrire une histoire autour d’une jeune femme qui présente les mêmes caractéristiques que cette musique, mélancolique mais terriblement fière et forte en même temps.

Ces exilés grecs ont  apporté à la Turquie une partie de   leur culture, leur musique, leurs traditions,  tout comme l’ont fait avant ou après eux les gitans,  les pieds noirs et comme le font maintenant  ces exilés syriens dans les pays où ils viennent vivre…

Comme dans toutes les musiques que j’aime profondément, j'ai perçu le rebetiko pas mal de  révolte et de la mélancolie mais pas de colère,  et ça, c’est très important à mes yeux.

 

djamphoto

 Baz'art  : Et pourquoi  dès lors réaliser  aujourd’hui  un film autour de cette musique que vous avez découverte il y donc  presque 35 ans ?

Tony Gatlif : Disons  pour simplifier un peu qu’avant celui là, j’ai fait d’autres films, sur une autre musique, la musique tzigane , évidemment, et j’ai dû considérer que pour moi c’était une priorité (sourires) et qu’il était important pour moi de mettre en avant cette culture là pendant une bonne dizaine de films…

 Inconsciemment j’ai dû me dire que j’avais fait le tour de la question pour le moment du moins  sur le peuple tzigane et  c’est ainsi que j’ai eu envie   de construire un long métrage avec le rebetiko pour personnage principal. 

Cela dit,  j’ai eu du mal à l’écrire ce film, surtout que sont venues se greffer au cours de l'écriture du film la terrible tragédie du Bataclan..

C’est quelque chose qui m’a vraiment écœuré , savoir que des jeunes ont tué d’autres jeunes qui aimaient danser et écouter de la musique dans le quartier où j’habite qui plus est m’a vraiment donné envie de vomir et j’ai eu beaucoup de mal à reprendre le fil de mon écriture après ça, et en même temps cette horreur m’a « servi » pour nourrir mon film et mes personnages.

galif

 Baz'art :D’autant plus qu’indirectement, il est question de la Syrie et Daesh dans votre film,  avec ces traces de migrants que vous filmez tout au long du parcours pris par vos deux héroïnes ?

Tony Gatlif : Oui, bien sûr :  en choisissant les lieux de mon tournage, je savais parfaitement que je mettais  les pas de mes deux filles  dans ceux des migrants, ceux qui marchent d’Istanbul jusqu’à Edirne pour atteindre Kastanies en Grèce.

La gare de Didimotichio, dans laquelle se déroule une scène importante de Djam, j’avais bien entendu parler avant d'y aller pour le tournage,  car  on m’avait dit que tous ces  migrants transitent par cette gare, je me doutais donc que j’allais y trouver des signes de leur age  à notre arrivée…

 Baz'art: Et justement,  à ce propos, quels a été vos critères pour conserver dans la version finale du film certaines de ces traces et pas d’autres ?

Tony Gatlif : Ce qui a guidé mes choix, c'est que je ne voulais surtout pas faire un film "tire larmes", et qui vire au sensationnalisme  au voyeurisme, je déteste cela et j'ai toujours detesté cela..

C’est pour cela que j’ai ôté toutes les traces que j’ai jugé comme telles ( je pense par exemple à un livret de notes qu’un jeune migrant avait laissé par terre),  par contre les  boites de conserves que les migrants  utilisé comme casseroles et des sachets lyophilisés pour faire du thé ou les gilets de sauvetages qui s’entassent sur la plage m’ont semblé être un témoignage important et pas voyeuriste du age de ces migrants donc c'était bien que ce soit dans le film…

De même  il était important pour moi que je montre  le mot qu’un migrant, sans doute  très lettré, avait  écrit sur le mur «Libre venu de Shâm, il coule du sang à Alep et à Idlib", c'était un témoignage très fort et très digne de son age.

Toutes  ces traces,  il fallait qu’elles soient dans mon film, tant elle évoquent parfaitement l’exode des Syriens et plus généralement, l’exil dans ce qu’il représente de plus noble à mes yeux.

 Baz'art: Et comment avez-vous choisi les différentes chansons qui  font plus qu’accompagner le film mais sont de véritables dialogues, comme dans toutes vos œuvres ?

Tony Gatlif :  Pour les morceaux chantés, ca a été un vrai boulot, je me suis fait aidé de musiciens turcs de rébetiko  pour  rassembler les musiques du film pendant plus d’un  an, ça nous a pris pas mal de temps à chercher ces musiques et à écrire des textes dessus qui correspondaient totalement à ce que je voulais transmettre.

Il était important de  mettre en avant des  chants qui disent quelque chose de l’immigration d’aujourd’hui, qui ne fassent pas démodées,  on en a arrangé certaines pour qu’elles  puissent bien coller  à notre époque actuelle.

Mais même quand elles parlent d’amour ou de relations filiales, ces chansons parlent toutes d’exil, on sent bien à travers elle,  la souf qu’a occasionné le départ des Grecs d’Izmir,  et leur fuite à travers les mers en barques…

 

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 Baz'art  : Et pour interpréter ces textes que vous avez écrit il a fallu trouver des perles rares des acteurs chanteurs, et notamment votre actrice principale, cette révélation totale qu’est Daphné Patakia ? Est-ce que cela a été difficile de mettre la main sur une telle perle qui sache parler français et grec, et danser et chanter ?

Tony Gatlif : Oui,   on l’a  cherché un peu partout cette actrice sans qui le film n’aurait pu se faire évidemment, à Berlin, à Paris,  ailleurs et  finalement , on l’a trouvé à Athènes.

On aurait pu tricher un peu, au cinéma, vous savez,  c’est si facile de tricher mais j’avais vraiment envie d’avoir ma dose d’authenticité.

 Et pour Daphné,   j’en ai eu à 100% de cette authenticité : Daphné parle autant grec que français, ce sont ses langues maternelles (elle a vécu longtemps en Belgique), elle e sait jouer du baglama (NDLR  : un instrument à cordes d'origine grecque).

Daphné, elle sait danser et surtout elle est belle et physiquement (mais c’était pas important du tout  à mes yeux qu’elle le soit), et surtout elle est belle humainement.

C’est vraiment un cadeau tombé du ciel, cette actrice, car une fois que vous l’avez trouvé, tout doit normalement rouler (sourires)...

Chez elle, contrairement à certains de mes autres personnages féminins des films précédents, on n’y décèle aucune hystérie,  aucune violence : ce sont des  choses que Daphné n’a pas mais alors pas du tout en elle (ca a même posé quelques problèmes pour tourner la scène vers la fin du film où elle menace les banquiers avec une arme).

J’avais envie de tout faire pour que son humanité et sa bonté transpire derrière ma caméra et j’espère y être arrivé au moins un peu….

djam3 Baz'art : Euh oui, plus qu’un peu même. Une autre très belle idée du casting c’est Simon Abkarian, qui est très émouvant dans le rôle de  Kakourgos, l’oncle de Djam. Ce pari n'était pas gagné au départ quand on sait que cet acteur est arménien et vous le faites jouer un grec, non ?

 Tony Gatlif : Oh vous savez,  l’important n’est pas la nationalité d'un acteur , l’important est  que le comédien que je choissise  porte le voyage sur son visage, véhicule l’exil par tous les pores de sa peau.

Simon, je le connais et le fréquente depuis longtemps,  mais je n’avais jamais eu l’occasion de tourner avec lui et comme je savais qu’il aimait bien la musique Rebetiko, c’était l’occasion idéale de lui  proposer ce rôle d'oncle.

Et Simon fut génial car il a emporté avec lui son histoire personnelle.

Dans la séquence où il parle de la mère de Djam, exilée et morte à Paris, Simon m’a totalement bouleversé de manière impromptue : il s'est lancé dans une improvisation pas écrite dans le scénario, et cette sincérité et cette émotion m’ont vraiment touché.

Simon, c'est un acteur d’une immense générosité et il l’a  vraiment prouvé dans ce tournage.

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  Baz'art  :Le film se clôt sur une tonalité optimiste, malgré les difficultés que rencontrent vos personnages principaux et surtout un message antimatérialiste. C’était important pour vous d’insister sur le fait que la vie compte bien plus que l’argent ?

 Tony Gatlif : Ah oui ça ,j’y tenais vraiment, pour moi c’est vraiment cela l’esprit du film : les murs, les pays, les objets, ce n’est que de l’argent, seule la vie compte vraiment...

A vrai dire, pour arriver à cette conclusion, je me suis servi d’une phrase que m’avait dit ma productrice il y a une quinzaine d’années quand j’avais de gros problèmes de dettes, suite à une escroquerie dont j’ai été victimes… : tu t’en fous ce n’est que de l’argent après tout…j’ai réfléchi et je me suis dit qu’elle avait entièrement raison.

Tant qu’on vit, tant qu’on chante,  tant qu’on aime,  tant qu’on danse, on s’en fout des banques, des huissiers  et de toutes leurs conneries, vous n'êtes pas d'accord avec cela  (sourires)?

 Baz'art  : Si tout à fait cher Tony, on est plus que d'accord avec vous. et merci encore pour cette interview et ce beau film que vous avez réalisé...

 

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