"La jeune fille et la mort" :un sublime huis clos dramatique
Après avoir connu un franc succès au Festival d'Avignon en 2015 et 2016, mais aussi au Festival Théâtre In Situ de Carqueiranne ou encore au Théâtre Portail Sud de Chartres, la compagnie des Théâtr'Ailes prend ses quartiers à la Manufacture des Abesses, jusqu'au 19 mars, avec une brillante mise en scène de "La jeune fille et la mort". Et on ne peut que vous conseiller d'y aller !
Un spectacle qu'on a revu à Paris après l'avoir chaleureusement applaudi l'an é au OFF d'Avignon on vous dit pourquoi dès à présent :
Dès le début de la pièce, la mise en scène de Massimiliano Verardi nous plonge dans un huis clos dramatique et nous fait sentir une tension extrême qui ira crescendo… La belle Paulina Solas ( Renard) vêtue d'une belle robe rouge sang, fait les cent pas, attendant le retour de son époux. Elle semble sur la défensive, à tel point que lorsqu'une voiture se fait entendre, elle éteint toutes les lumières de la pièce, court chercher le pistolet qu'elle dissimule dans une armoire, et se recroqueville dans un coin.
Très vite, on comprend que la peur fait partie de son quotidien, qu'elle vit dans la crainte permanente, dans la menace perpétuelle. Son é d'ex-militante torturée pendant l'ancien régime a laissé en elle de profonds stigmates, des blessures à vif, que rien, même l'amour fou de son mari, n'arrivera à guérir…
Entre alors en scène son époux, Gerardo Escobar (Luc Baboulène). Ce brillant avocat à la carrière toute tracée vient d'être nommé par le Président à la commission d'enquête chargée de juger les criminels de guerre et autres responsables d'exactions, et en particulier, "les cas irréparables". Il lui raconte avoir tardé, après avoir crevé sur la route. Heureusement, raconte-t-il encore, un certain Roberto Miranda, l'a aidé…
Et c'est ce même Miranda (Philippe Pierrard) qui débarque chez lui, quelques heures plus tard. D'emblée, Paulina croit reconnaître la voix d'un des sadiques docteurs qui l'a torturée, violée, des semaines durant, tout en écoutant le quatuor de Schubert, "la jeune fille et la mort"… Elle ne l'a jamais vu, mais affirme pouvoir reconnaître "sa façon de rire", son odeur, entre mille. Elle décide alors de se venger …
Du début à la fin, nous sommes happés dans ce véritable thriller psychologique, à fleur de peau, craignant à tout moment que Paulina appuie sur la gachette qui achèvera de rendre justice. On comprend que si elle veut guérir du é, elle n'a d'autre choix que d'improviser ce sinistre simulacre de justice.
Les trois comédiens sont époustouflants d'authenticité et de justesse. Renard est bouleversante dans le rôle de la femme meurtrie qui cherche à tout prix à trouver le repos, "à sa manière". L'équilibre est parfait entre son personnage et celui de Gerardo, parangon de la Justice, partagé entre la raison - l'amour de son métier - et les sentiments - sa ion pour sa femme, qu'il aimerait sauver de sa folie. Le Docteur Miranda est si crédible - notamment dans la petite mise en scène imaginée avec l'avocat -, que le doute plane jusqu'au bout.
Est-il vraiment le tortionnaire de Paulina ? Et quand bien même, se faire justice soi-même, est-ce vraiment rendre justice ? La rédemption et la résilience ent-elles par la vengeance ? N'est-il pas légitime pour une victime de se "transformer" en bourreau ? Cette pièce pose des questions essentielles et universelles.
Nombreuses ont été les adaptations du texte "La jeune fille et la mort" écrit en 1991 par l'argentino-chilien Ariel Dorfmann - Roman Polanski, pour ne citer que lui, l'a adapté au cinéma en 1994 - et encore plus nombreuses ont été ses interprétations. À travers son habile mise en scène, Massimiliano Verardi a choisi de donner à ce magnifique texte une portée universelle, afin qu'il nous parle, à tous. Non pas pour brouiller les pistes, mais au contraire, pour laisser libre cours à notre interprétation sur les unités de temps et de lieux… Car, comme le disait l'auteur lui-même dans une interview accordée au journal The Guardian : "cette histoire est arrivée hier, cela aurait bien pu être aujourd'hui." L'action se déroule dans un pays d'Amérique du Sud, mais elle pourrait se situer n'importe où. Elle a lieu dans les années 1970, mais cela pourrait être n'importe quand.
La tension est également rendue par les jeux de lumières et de sons orchestrés par Philippe Piazza : du souffle du vent aux lumières aveuglantes des phares de voiture, en ant par les bruits des pas sur le gravier, et bien sûr, par l'opéra de Schubert qui résonne dans le lecteur CD…
Jusquà dimanche, on peut encore se précipiter pour aller applaudir cette pièce, alors, courez à la Manufacture des Abbesses avant qu'il soit encore temps !
La jeune fille et la mort d'Ariel Dorfman, mise en scène de Massimiliano Verardi
Manufacture des Abesses, 7, rue Véron, 75 018 PARIS
Du mercredi au samedi à 21h et le dimanche à 17h.
Réservations par téléphone au 01 42 33 42 03