Niquer la fatalité : Estelle Meyer souveraine et créatrice du continent femme - Théâtre 13 (Paris)

Le rouge satiné déborde de la scène, frôlant nos pointes de pieds. Résonne la voix rocailleuse d’Estelle Meyer que nous attendons tant (car loupée de peu l’année dernière aux Plateaux Sauvages). Cette artiste complète nous avait déjà conquise chez Géraldine Martineau avec sa fougueuse Sarah Bernhardt, elle nous prend désormais aux tripes en réunissant les astres. Comme le raconte à Arnaud Laporte sur Culture, la créatrice et comédienne a eu « besoin très tôt de s'ancrer dans le monde, tenir le vivant et toucher sa peau "sérieusement" pour cerner ses propres contours ». La sensibilité est démultipliée, l’envie de connexion est indispensable pour se construire.
Le pas est affirmé dès les premières minutes, traversant cette mer de lumière rougeâtre. Comme le suggère son sous-titre Chemin(s) en forme de femme, elle emprunte différentes directions qui se forment au gré des mots qui sortent. Ils sont bruts, enrobés par la musique, prêts à déclencher l’harmonie qui dessinera un dédale de destins. Cette soirée n’a pour seule visée, la victoire, la Nikè en grec. Pour cela, il faut cre tout ce qui a été pu être enfoui par le é.
Estelle Meyer entame une rencontre post-mortem avec celle qui a le plus niqué la fatalité à ses yeux, j’ai nommé, la grande Gisèle Halimi. La mort n’est ici qu’un déménagement et ce dialogue un age obligatoire pour se reconnecter à son monde. Meyer est à la fois Gisèle et Estelle. La première, costume bleuté taillé et jambes croisées dans le canapé feutré, se montre plein d’assurance prête à finir la bataille à coups d’un mot et d’une plaidoirie. « À la mort de Gisèle Halimi, je découvre, époustouflée, son œuvre. Cette femme est plus moderne que moi ! » s’enthousiasme Estelle Meyer. Halimi renaît à travers ses écrits – La Cause des femmes, Le Lait de l’oranger, Une Farouche Liberté – jusqu’à devenir conseillère, le talisman de sa vie. Quant à Estelle, elle dévoile au travers de chansons-poèmes une solarité ardente, dont elle décompose l’origine.
Les deux femmes en une se racontent une expérience dont les fils s’entrecroisent de similitudes, où les épreuves comme les réjouissances marqueraient les points d’étapes d’adolescente puis de femme, des premières règles à la découverte du planning familial, jusqu’au viol… Une violence qu’elle ne tait pas, bien au contraire. Les mots ne sont plus honteux, le féminin non plus… Il est victorieux avec le regard protecteur de Gisèle Halimi qui plane sous nos têtes : « Gisèle, s’il m’arrive quelque chose de grave, tu me défendras ? ». La torche de sa flamme combative est reprise par la lumineuse Estelle Meyer. Les deux histoires se croisent : la première brandit les combats de la deuxième quand l’avocate par ses plaidoiries soutient la première dans ses drames…
Après l’échange, le temps est au rituel d’ancrage. Nous spectacteur.rices sommes engagés d’y participer pour redonner du sens aux mouvements, à la libération d’émotions, à ce qui nous dée, comme une nouvelle forme de spiritualité jusqu’à la cérémonie libératrice. Une cérémonie qu’elle prolonge avec son podcast éponyme produit par Culture.
Jouissif et bouleversant, Meyer fait de ce moment une expérience collective performative, de chant et de théâtre avec une voix sublime et un corps hyper ancré, accompagné par le piano de Grégoire Letouvet et la batterie de Pierre Demange. Le bal des ondes d’empathie et de douceur envoûte et ensorcèle, comme un baume du tigre appliqué délicatement !
Crédits photos : Emmanuelle Jacobson-Roques

Niquer la fatalité
Écrite et interprétée par Estelle Meyer
Mis en scène par Margaux Eskenazi
Composition musicale Estelle Meyer, Grégoire Letouvet, Pierre Demange
1H30
Tous les jours à 20h
Jusqu’au vendredi 14 février 2025
Théâtre 13 – Bibliothèque (Paris 13ème)
Jade SAUVANET