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13 mai 2024

Salem : Prin signe une réécriture horrifique et féministe – Théâtre de Belleville (Paris)

Au sein du village de Salem, il se déroule mille histoires. Pourtant, jusqu’à maintenant, une seule a été racontée. A son commencement, Arthur Miller a écrit Les Sorcières de Salem en 1953 dans un contexte particulier. Il s’est en effet inspiré d’un procès célèbre dans l’histoire américaine, qui a eu lieu en 1692.

En Nouvelle-Angleterre, une communauté avait été ébranlée par une crise d’hystérie puritaine suite à laquelle vingt-cinq exécutions ont eu lieu pour pratiques sataniques.

Dans les années 50, un autre procès se déroule : celui du maccarthysme. Une « chasse aux sorcières » anticommuniste istrée par le Comité sur les activités anti-américaines, présidé par le sénateur Joseph McCarthy.

Le dramaturge a lui-même été mis en cause par ce Comité en 1956 après avoir été « dénoncé » par le réalisateur Elia Kazan. L’auteur s’attache donc à montrer à travers cette pièce comment des croyances poussées à l’extrême alimentée par la peur peuvent conduire à des comportements aveugles.

Récompensée à de multiples reprises, la pièce est montée pour la première fois en en 1954 avec le couple Signoret-Montand pour être repris 60 ans plus tard par le directeur du Théâtre de la Ville, Emmanuel Demarcy-Mota. Dans la lignée de l’Etat de siège d’Albert Camus ou le Rhinocéros de Ionesco, le metteur en scène choisit ces classiques contemporaines avec pour sensibiliser les jeunes publics (plus présents dans les théâtres publics) et tracer un lien entre les alertes du 17ème siècle et le nôtre. Une reprise remixée qui privilégie un message « universaliste ».

Rémi Prin s’attaque aujourd’hui au village de Salem (pièce déjà présentée en 2021 mais dont la résonance s’accentue au vu du contexte de polarisation).

Originaire du cinéma, Prin s’attarde avec la Compagnie le Tambour des Limbes à questionner la notion de « théâtre de genre » en revendiquant des influences cinématographiques fortes. Récemment devenu directeur du Théâtre de la Belle Étoile (Théâtre du Troisième Type à Saint-Denis), il a représenté une adaptation du célèbre roman de science-fiction de Stanislas Lem Solaris au théâtre de Belleville.

Le metteur en scène a constaté un traitement hyper rationalisé et distancié où ces « sorcières de Salem » seraient tout simplement des affabulatrices et des simulatrices. Réécrire semblait indispensable pour bannir ce parti-pris manichéen et rééactualiser le contexte dans lequel ces femmes vivaient : une société refermée sur elle-même, une communauté où le puritanisme et l’obscurantisme régnaient.

Par le biais de l’écriture collective, Salem devient un lieu hors du temps et l’espace, juste identifiée par une topographie des lieux principaux du récit : la forêt, le château du maire de la ville, une salle de classe, la cave d’un cabinet de médecine, la porcherie d’une ferme et enfin l’église de Salem.

Ce récit est nourri par une documentation dense pour ne citer que l’épidémie de danse à Strasbourg en 1518 ou le massacre collectif perpétré par les habitants d’Hautefaye en 1870... ce qui permet de rentrer dans le genre fantastique et l’horrifique… et les codes cinématographiques.

Les quatre comédiennes, Flora Bourne-Chastel, Léa Schwartz, Louise Robert et Elise Boudoux d’Hautefeuille, se déploient dans l’espace proscris aux femmes, effectuent un travail des corps assez bluffant. La chorégraphie est brute et frissonnante, allégorie d’une révolte des sorcières tues, bientôt en marche.

Elles sont poussées dans leur retranchements et adoptent chacune une position face à un village qui ne semble avoir connu que le silence et le déni. Certes, d’une libération de parole, il n’en sort pas que des bonnes choses mais cela permet de nous questionner sur l’invalidation de la colère « hystérique » des femmes et la vengeance comme réponse à l’oppression et la domination.

En sachant qu’un contexte de méfiance sert toujours les dominants en place dans le village.

La scénographie de Suzanne Barbaud nous plonge dans cette ambiance angoissante, horrifique grâce à un usage milimétré du clair-obscur et une bande-son, une quasi bande originale d’un film ! Surtout faire b avec peu de décors, c’est un défi 100% relevé!


On ne peut que conseiller Salem pour sa relecture de la figure ancestrale de la « sorcière » et de sa chasse, justificateur d’une oppression féminine, l’utilisation de la peur comme fond de commerce (réflexion actuelle dans un contexte polarisé) et pour l’influence cinématographique originale !

Salem

Pièce écrite par Flora Bourne-Chastel, Elise d'Hautefeuille, Naima Maurel, Rémi Prin, Rose Raulin, Louise Robert et Léa Schwartz

Mis en scène par Rémi Prin

Interprété par Flora Bourne-Chastel, Elise d'Hautefeuille, Louise Robert et Léa Schwartz

Scénographie Suzanne Barbaud
Création sonore et musique Léo Grise

Lumières Rémi Prin et Cynthia Lhopitallier

Lundi et mardi à 21h15 et le dimanche à 20h

Jusqu’au 28 mai 2024

Théâtre de Belleville (Paris 11e)

Crédits photos : Avril Dunoyer

 

Jade SAUVANET

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